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Le désarmement nucléaire après mai 2010. Questionnement et propositions.

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 Peut-on imaginer que les Français se posent des questions sur les armes nucléaires ? Peut-on imaginer qu’une échéance prochaine d’élection présidentielle permette de débattre sur la Force de dissuasion ? Pourrait-on réfléchir au nouveau contexte international, 20 ans après la fin de la guerre froide et au rôle actuel des armes nucléaires de différents pays qui en possèdent, dont la France ? Enfin, comment provoquer ces questionnements ?

Si la France souhaitait s’inscrire dans un processus d’élimination des armes nucléaires, aurait-elle des propositions constructives pour faire évoluer la situation internationale ? Il y a un vingtaine d’années, cette question avait une réponse: il fallait arrêter les essais nucléaires. En 2010 quelle est la réponse adaptée à la nouvelle situation internationale ?

Comment tenir compte des appréciations justifiées ou injustifiées des Français sur l’existence de la force de dissuasion ? Comment tenir compte des pesanteurs de l’opinion publique française et souvent de ses élites politiques ? Comment proposer des avancées qui ne seront pas perçues comme des abdications ?

Pour répondre en partie à ces questions, nous avançons ci-dessous une proposition de campagne de sensibilisation à une question majeure actuelle, la mise hors alerte des armes nucléaires.

L’état d’alerte actuel : un danger considérable

“L’état d’alerte”, qu’est-ce ? Hérité de la guerre froide, il s’agit d’une procédure de tir qui prévoit qu’en cas de détection par un radar de l’arrivée prochaine d’un missile hostile, les tirs de riposte nucléaire sont déclenchés avant l’impact. La décision doit être prise en une vingtaine de minutes. Le tir de riposte part en 2 minutes.

Cette procédure est toujours d’actualité. Les États-Unis et la Russie ont chacun 1300 têtes nucléaires en état d’alerte. La France a enlevé le “ciblage” de ses missiles, cela rallonge de quelques minutes le délai de tir des 96 bombes de chaque sous-marin.

Au cours de la guerre froide les Russes, avec leurs satellites, ont détecté la préparation de départ des fusées américaines. Une vingtaine de fois. En 1995 ce sont les Russes qui ont failli tirer : un missile norvégien d’étude du climat n’avait pas été déclaré. Boris Eltsine a refusé le tir pensant improbable une attaque américaine.

Le danger augmente, d’abord à cause du vieillissement des systèmes de détection russes mais aussi à cause des nouveaux moyens informatiques qui peuvent faire craindre des attaques virtuelles ou des bogues ou encore des virus préparés par des terroristes qui voudraient enclencher une guerre nucléaire.

Vingt et une raisons d’une campagne sur la mise hors-alerte

1- le danger de déclenchement de tir nucléaire par erreur est très grand compte tenu des procédures russe et américaine. Comme le disait Kennedy en 1961 aux Nations unies: ” chaque homme, femme ou enfant vit sous une épée nucléaire de Damoclès accrochée à de fragiles fils qui peuvent être coupés à tout moment par accident ou erreur, ou par folie. Ces armes de guerre doivent être abolies avant qu’elle ne nous abolissent.” Or les procédures actuelles sont toujours celles de la guerre froide.

2- Aucun des États nucléaires n’est disposé à engager un processus d’élimination. La décision d’une Convention d’élimination est donc bloquée. Il faut donc contourner la difficulté et voir quelles sont les étapes que la Convention préconise pour essayer de les réaliser afin de montrer que le processus est réaliste.

3- l’étape numéro un, proposée par de nombreuses commissions, dont la Commission Canberra fut la première en 1995 avec Michel Rocard, la commission Blix la dernière en 2006, est l’étape de mise hors alerte. Précisément pour écarter le danger d’une guerre accidentelle et pour qu’une décision de frappe nucléaire ne soit pas prise dans la précipitation.

4- le choix de mise hors alerte est intéressant car il concerne les doctrines nucléaires et non pas la taille des arsenaux. En effet un réel processus de désarmement doit impliquer un changement de doctrine. Une réduction du nombre de missiles ou de têtes nucléaires est une optimisation de la gestion de l’arsenal et non pas une étape réelle d’un processus d’élimination.

5- d’autres mesures pourraient être proposées, l’arrêt des programmes de modernisation des armes, par exemple. Mais aucune ne présente la simplicité de la mise hors alerte qui évite d’impliquer le complexe militaro-industriel très soucieux de ne pas être remis en cause.

6-le premier État concerné par la mise hors alerte est les États-Unis, du fait de leur arsenal très supérieur aux autres et à la couverture satellite qui permet l’alarme précoce. Si un autre État comme la France décidait de la mise hors alerte de ses forces, cela n’aurait de sens que si c’était associé à un projet de mise hors alerte mondial. Éventuellement un Traité des États en mise hors alerte, d’une façon très proche du traité d’arrêt des essais. Il s’agit donc d’une mesure destinée à organiser une pression diplomatique internationale sur les États dominant la scène nucléaire, les États-Unis et la Russie.

7-  la mise hors alerte peut consister en des mesures simples pour commencer à prendre effet. Par exemple la doctrine US pourrait changer de l’état actuel LOW (Launch On Warning- tir sur signal radar) à l’état NLBD (No Launch Before Detonation, pas de tir avant une explosion nucléaire), ce qui ne demande aucun système de vérification internationale et peut être opérationnel par une simple modification de procédure.

8- Pour un pays comme les États-Unis qui prendrait une telle mesure de mise hors alerte cela ne fragiliserait pas sa capacité de riposte nucléaire à une attaque, dans la mesure où le pays dispose de nombreux sous-marins qu’il  n’est pas possible de détruire par une première frappe d’agression. La mise hors alerte ne doit pas être confondu avec la doctrine du “no-first-use” (pas de tir en premier) qui est une doctrine d’attaque alors que la mise hors alerte est une procédure de réplique et de contre-attaque.

9- la commission Canberra préconisait le démontage des têtes nucléaires de leurs missiles, ce qui correspond à l’allongement maximum du délai de tir, et certainement plusieurs semaines. Un pays qui n’est pas menacé au point de ne pas avoir besoin d’opérer un tir nucléaire dans un délai de cet ordre (c’est le cas de la France) peut sans problème décider de se situer à ce niveau d’alerte très bas.

10- Une mise hors alerte de ce type peut favoriser des procédures de transparence puisque les missiles sont à terre et donc l’AIEA pourrait être sollicité pour des vérifications. Ce n’est pas le cas actuellement, l’AIEA n’inspecte pas les installations militaires des pays dotés. Mais une telle mesure pourrait être envisagée.  La transparence de l’information sur les arsenaux est demandée de façon répétée par la communauté internationale.

11- certains pourront objecter la possibilité de réversibilité de la mesure de mise hors alerte et en conséquence son incapacité à enclencher un processus de désarmement. C’est exactement le contraire. Le processus s’enclenche en évitant le contre argument. Car toute mesure de désarmement peut-être un jour au l’autre abandonnée. Comme le disent certains ” on ne peut pas “désinventer” l’arme nucléaire”. La mise hors alerte est simple à annuler puisque la mise hors alerte est simple à mettre en place. Une simplicité toute relative si il s’agit d’un complet démontage des têtes nucléaires…

.12 Un pays comme la France pourrait aussi programmer une mise hors alerte en étapes. Pour la Force aéroportée l’étape la plus légère serait de ne pas embarquer les missiles sur le porte-avion et faire un stockage des missiles loin des avions. Pour la force sous-marine, ce serait de ne pas équiper le sous-marin de ses missiles. Cela est concevable dans la mesure où la France ne se considère pas menacée par une frappe préventive d’agression pour détruire son arsenal nucléaire. La mise hors alerte le plus poussé consisterait à démonter les têtes nucléaires des missiles, comme le préconisait la commission Canberra.

13-  Pour les tenants de la dissuasion nucléaire, la mise en cause de l’état d’alerte est une mise en cause fondamentale de la dissuasion. Il est vrai que cette mesure change la notion de dissuasion car elle change le processus de décision de tir. Dans la doctrine avec état d’alerte, la décision est celle d’un homme seul et dans l’urgence. Avec la mise hors alerte le processus de remise en alerte, le remontage des têtes sur les missiles et la remise en mission du sous-marin, crée une possibilité de participation plus collective, au moins par une information possible et donc par un débat envisageable.

14- Pour ceux qui aiment le concept de dissuasion, qui n’est pas spécifiquement nucléaire, la mise hors alerte apporte une nouvelle étape de menace par la reprise de la mise en alerte. Il faut noter que le mot “dissuasion” n’est en réalité pas adapté au nucléaire car dans cette doctrine militaire, il doit être prévu le cas où la dissuasion ne marche pas. Pour le nucléaire cela est impossible, donc il ne s’agit pas de “dissuasion” mais de menace de suicide collectif.

15- Pour les opposants à l’arme nucléaire, la mise hors alerte est relativement frustrant car le problème de l’élimination de l’arme nucléaire concerne un choix politique fondamental et donc d’une certaine façon la mesure qui ne prend qu’un aspect particulier peut être considéré comme une erreur de stratégie qui prend le problème à l’envers. Sauf à considérer que la stratégie et bonne dès lors qu’elle concerne une remise en cause de la doctrine.

16- Les opinions publiques sont parfois remplies de contradiction. L’opinion publique française, d’après un sondage du Ministère de la Défense répond positivement à la question ” pensez vous que la dissuasion nucléaire assure votre sécurité ?” (70% de réponses positives) mais négativement à cette autre question : “seriez vous d’accord si la France décidait  d’un bombardement nucléaire sur une ville ?” (85% de réponses négatives). La mise hors alerte serait donc simple à accepter par l’opinion publique car la dissuasion nucléaire reste disponible, c’est le tir décidé dans la précipitation qui est remis en cause.

17- De nombreux non-dits existent avec le concept de dissuasion nucléaire. Le “sceptre politique” de l’arme nucléaire donne dans l’esprit de certains une place privilégiée à la France pour son influence en Europe, justifie son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, et devrait lui donner un rôle dans l’OTAN nouvellement ré-intégré. La mise hors alerte ne remet pas en cause ces présupposés, puisque l’outil nucléaire reste intact. La France ne perdrait pas sa place de “grande puissance” qu’elle pense attribuée à sa force nucléaire.

18- Lorsqu’une difficulté est importante, il peut être astucieux de ne pas la prendre frontalement mais d’analyser les aspects qui peuvent amener à la surmonter bien que marginaux. Prenons l’exemple de Gandhi qui, face au pouvoir britannique, a fait la marche du sel, aspect parfaitement marginal mais qui remettait en cause la domination étrangère. Ce que le pouvoir avait parfaitement compris, mais qui ne correspondait qu’à une étape très minime en réalité. La mise hors alerte et la dissuasion sont dans les mêmes proportions. Avec la mise en grand danger de l’état d’alerte actuel qui donne une raison supplémentaire pour en justifier la demande urgente.

19- Une théorie d’action aussi répandue est celle de la fissure. Pour faire évoluer une masse impossible à mouvoir, il faut voir les possibilités de fragmenter le problème. Il y a une fissure possible dans la théorie de la dissuasion, c’est le danger d’une guerre nucléaire par erreur et la possibilité de l’éviter. Si cette fissure s’agrandit, le raisonnement pourra nous amener à penser que la guerre nucléaire est en réalité le vrai danger, et que nous devons l’éviter en supprimant, non pas l’état d’alerte, mais toutes les armes nucléaires. Nous n’en sommes pas encore là.

20- La mise hors alerte n’est pas seulement une marotte mais le marqueur fondamental d’une adaptation à la nouvelle stratégie d’un monde sans armes nucléaires.

21- La mise hors alerte donnerait à la France une place de tout premier plan dans la communauté internationale. Actuellement la France est très mal jugée du fait de son absence de volonté manifeste de remettre en cause sa force nucléaire. Une mesure comme la mise hors alerte, demandée par la majorité des États lors de la Conférence d’examen du TNP serait une marque de volonté de se situer dans une dynamique de désarmement nucléaire. La Chine qui a exprimé son soutien à la Convention d’élimination ne figurerait plus comme unique État nucléaire favorable à l’élimination.


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